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Manifestations en Iran. Décryptage

Cet article est à retrouver dans le numéro 17 de la newsletter « L’actu de l’Europe ».

Crédit photo : Yasin AKGUL/AFP

« Depuis que je suis revenu, je ne me suis pas une seconde senti libre. En cellule d’isolement, je croyais qu’il suffirait de mettre le pied deho rs pour respirer la liberté. À chaque pas, à chaque mouvement, à chaque bouffée d’oxygène, profiter de l’étrange privilège d’être libre. Mais depuis que je suis là, je n’ai rien ressenti de tel. Suis-je vraiment libre? Je n’en sais rien. »

Ennemi de Dieu de Sorour Kasmaï

Que s’est-il passé ?

Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini, une jeune kurde iranienne de 22 ans, décède trois jours après sa sortie du commissariat suite à son arrestation par la police de mœurs pour avoir mal dissimulé sa chevelure. Les autorités évoquent un malaise cardiaque mais la famille refuse la version officielle, son cousin présent avec elle lors de l’intervention policière témoigne de violents coups portés à la tête. Suite à cette injustice, pourtant courante en Iran, des manifestations d’ampleur inédite ont commencé parmi les iraniens et iraniennes au péril de leur vie, la peine de mort étant toujours appliquée dans le pays. Sur les images : des femmes qui jettent leur voile, se coupent les cheveux et brûlent leur voile, scandant leur cri de ralliement « femme, vie et liberté ».

En représailles, le régime arrête massivement (1200 manifestants depuis le 16 septembre) au nom de « la conspiration des ennemis de l’étranger ». Mardi 27 septembre l’agence Fars établissait qu’ « environ 60 personnes ont été tuées » depuis le début des protestations. Les chiffres restent difficilement quantifiables en raison de la censure des autorités iraniennes.

Quel est le contexte Iranien ?

En 1979, la révolte islamique contre la dictature du chah rend le port du voile obligatoire dès l’âge de 7 ans. Cette mesure est prise pour marquer l’opposition à la volonté libérale du chah et se révèle constitutive du nouveau régime théocratique dont l’un des slogans est « le voile, comme rempart de la République islamique ».

Après les minces espoirs soulevés par les accords internationaux de Vienne en 2015, l’arrivée au pouvoir du radical Ebrahim Raissi en 2020 impose un retour à une application plus stricte des règles religieuses. Désormais les femmes ont l’obligation de porter un foulard devant couvrir les cheveux et les contours du cou au risque de commettre un crime passible de prison. Elles sont aussi interdites de chanter ou de porter des couleurs vives, des pantalons serrés et des manteaux au-dessus du genou. Selon Chowra Makaremi, chercheuse en anthropologie à l’EHESS (l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), l’Iran connaît alors un apartheid de genre, un concept théorisé par les féministes iraniennes désignant un système d’inégalité politique, sociale et de discrimination juridique envers les femmes.

Le slogan entendu dans les rues « A bas la dictature » montre cependant que cette fois-ci on s’en prend directement à la personne du guide suprême, qui personnalise le régime. Ce n’est donc pas une revendication concernant le foulard même mais la volonté d’un changement de pouvoir. Le régime étant finement lié avec l’obligation du port du voile, si l’un tombe, l’autre tombe avec.

Pourquoi maintenant ?

La population est jeune, 55% des Iraniens ont moins de 30 ans. Cette génération Z n’a pas connu la guerre contre l’Irak ( 1980 – 1988), elle a au contraire bénéficié d’une relative prospérité et s’est aussi sociabilisée sur internet, ce qui la rend moins perméable au gouvernement par la peur voulu par l’ayatollah.

Il est possible qu’aujourd’hui les effets cumulés de l’inflation, dont les effets ont été amplifiés par le COVID et la sécheresse des années précédentes, et de l’affaiblissement de la Russie sur la scène internationale, alliée du régime iranien, participent au climat insurrectionnel.

Quelle est la particularité de ce mouvement ?

Cette fois-ci tout le pays bouge.

Il y a bien eu le phénomène de la fille de la rue de la révolution agitant un foulard blanc au bout d’un bâton qui avait inspiré à la journaliste et militante féministe Masih Alinejadvle le mouvement « My Stealthy Freedom » (« ma liberté furtive »). Mais avec ce crime, c’est la société dans son ensemble, les hommes comme les femmes, qui se joignent à la révolte.

Cette exigence de liberté, c’est aussi l’expression de la contestation d’une minorité culturelle marginalisée (la population kurde), un phénomène intersocial regroupant une classe moyenne désabusée par la crise économique et un phénomène de révolte professionnelle (les universités et les transports publics étant en grève).

Quel avenir pour ce mouvement ?

Le régime a su se montrer autrement plus violent, notamment lors du massacre des prisonniers politiques en 1988 où il s’est rendu coupable de crime contre l’humanité en soumettant des milliers de dissidents politiques à des exécutions extrajudiciaires. Aujourd’hui, il se limite aux violences (parfois meurtrières) lors des manifestations et de couper internet, une réponse qui produit un effet d’attente générant un climat de peur et d’anxiété visant à affaiblir les émotions révolutionnaires.

Mais la véritable incertitude quant à la capacité de ce mouvement à résister à l’oppression réside dans l’absence de leader ou de véritable alternative politique, le régime ayant empêché toute création de partis politiques ou de syndicats. Tout comme pour les mouvements du printemps arabe on s’écarte du modèle révolutionnaire léniniste, processus organisé de succession du pouvoir, pour un processus révolutionnaire dont le produit politique, en l’absence de projet de prise du pouvoir, importe peu. La pression se fait d’autant plus grande que ces événements arrivent au même moment où se pose la question de la succession du guide suprême, âgé de 83 ans et de santé fragile, qui oblige le président Raissi à durcir son discours.

A.C.S.

Sources : Arte, Dessous des cartes, France Tv info, Radio France

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